vendredi 13 avril 2018

Le clan des O’Nissi

Les sentiers du Granto
épisode 3/8

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Cinq hommes armés — et visiblement surentraînés — attendaient les deux fugitifs dans le sous-sol du Central. Le chef du commando tendit à Line et Butch deux générateurs de ceinture qu’il leur intima d’activer d’un ton sec. « En route. Et sans bruit, grommela-t-il.
— Attendez, où va-t-on comme ça ?
— Faites-nous confiance, Butch.
— Non mais vous plaisantez ? Qu’est-ce que…
— J’ai dit silence ! »

Butch se renfrogna. La scène était digne des plus mauvais cybertrips qu’il ait jamais faits, mais il admit qu’il n’avait pas de meilleur choix que suivre le mouvement. En file indienne, ils s’engagèrent dans le labyrinthe des égouts de Zerfa. Les boucliers portatifs ne les isolaient pas des effluves pestilentiels. L’humanité s’était répandue dans une partie de la galaxie, voyageait la plupart du temps plus vite que la lumière à bord de puissants vaisseaux spatiaux, mais chaque ville de chacune des cinquante planètes de l’empire humain continuait invariablement d’être bâtie au-dessus d’un bon vieux réseau d’égouts.

Butch avait l’impression que sa petite vie tranquille avait littéralement volé en éclats. Et ce n’était pas qu’une impression. D’un côté, il s’en sortait plutôt bien, de l’autre, tout allait de mal en pis. À l’heure actuelle, il devait non seulement être recherché pour un prétendu viol de mineure, et le trucage de l’ordinateur de son vaisseau, mais également pour meurtre et évasion en bande organisée. Tout ça en moins de vingt-quatre heures. Un véritable record.

Line et Butch cheminaient à la maigre lueur d’une minitorche tenue par l’un des hommes qui suivaient derrière eux. Elle ne servait qu’à baliser leur route. Les gars étaient équipés d’une tenue de combat qui incluait un casque à vision assistée. Ils semblaient parfaitement connaître leur itinéraire et Butch s’en félicita. Sans eux, il se serait tout simplement perdu et serait probablement déjà tombé dans le canal qui charriait les eaux usées.

Soudain, l’éclaireur leva la main et la petite troupe se figea à quelques mètres d’une intersection. Un bourdonnement magnétique résonnait. Les tri-v avaient été lancés. Ils se plaquèrent instinctivement contre la paroi gluante. Le capteur à suspension magnétique s’immobilisa quelques instants au milieu de l’échangeur en tournoyant sur lui-même avant de poursuivre sa patrouille dans un tunnel adjacent. Ils se remirent en marche en accélérant le rythme. D’autres tri-v allaient suivre et il leur serait bientôt impossible de tous les éviter.

Ils arrivèrent dans une impasse. L’homme de tête s’avança vers le mur du fond et une console virtuelle surgit instantanément. Il entra un code sur le clavier de lumière et le mur se désocculta pour révéler une cabine métallique. L’ascenseur s’éleva en silence et, après de longues minutes, les portes s’ouvrirent sur une vaste pièce sans fenêtre, occupée par une dizaine d’hommes et de femmes. L’un d’eux s’approcha, un sourire affable aux lèvres. « Bonjour, je suis Sioben. Nous vous attendions.
— Où sommes-nous ? Et qu’est-ce que tout ça signifie ?
— Vous êtes en sécurité ici. Venez vous asseoir, nous devons parler. »

Sioben désigna d’un geste la grande table ovale autour de laquelle étaient disposés des sièges confortables. Les hommes du commando le saluèrent et sortirent par une porte qu’on remarquait à peine mais qui s’effaça automatiquement devant eux. Line et Butch désactivèrent leurs générateurs et prirent place. « Désirez-vous manger quelque chose ?
— Ce n’est pas de refus. J’ai soif aussi. Et mal à la tête. »

Sioben acquiesça et fit un signe à l’un de ses compagnons. « Vous allez devoir quitter Zerfa et retourner rapidement sur votre planète.
— Décidément, tout le monde est au courant de ma petite découverte !
— Ce n’est pas une « petite » découverte, Butch, vous le savez bien.
— Ah ! Parce que vous connaissez mon nom.
— Je sais beaucoup de choses vous concernant.
— Pas moi. Quelle est cette… mmm… amicale ?
— Nous appartenons à la confrérie O’Nissi. Et nous veillons à ce que certaines choses ne tombent pas entre de mauvaises mains. »

L’acolyte revenait en poussant devant lui un chariot rempli de victuailles. Line prit un verre d’eau et Butch se servit à manger. Il n’eut pas le temps de porter la nourriture à sa bouche. Autour de la table, les O’Nissi s’étaient brusquement immobilisés. Sioben pencha la tête puis se leva. Un pli d’inquiétude s’était formé sur son front : « Ils entrent dans l’immeuble. Je suis désolé Butch, vous vous restaurerez plus tard ». La porte invisible se rouvrit sur le commando. « Nos hommes vont vous accompagner jusqu’à votre vaisseau. Line ira avec vous. Tenez, vous brancherez ceci sur votre bioport. »

Sioben lui tendait un microcristal. Butch hésita. « Il contient les informations importantes. Partez, maintenant.
— Mais… et vous ?
— Nous savons ce que nous avons à faire. Nous nous reverrons, soyez-en sûr. »

Butch se dit que sa journée était plus que maudite. Il se retrouvait encore dans un ascenseur avec, cette fois, un policier qui n’en était plus vraiment un, des inconnus qui n’étaient certainement pas des policiers et sans le moindre doute, tous les policiers de Zerfa à leurs trousses. Gusar devait être en pétard. Et il y avait de fortes chances pour que ce soit lui-même qui conduise l’escouade qui envahissait le bâtiment.

La cabine s’arrêta avant d’avoir atteint le rez-de-chaussée. Ils prirent un couloir au bout duquel Butch reconnut l’une des passerelles privées qui menaient aux aérodocks. La traversée se fit au pas de course. Ils débouchèrent sans encombre sur l’esplanade qui desservait les bras d’amarrage. Elle était étrangement vide. D’habitude, cet endroit grouillait de monde — dockers, chineurs, douaniers, commerçants. La première rafale de laser faucha les deux hommes qui fermaient la marche. Les tirs avaient troué leurs boucliers comme du papier. Ils étaient réglés au maximum. Pour tuer, sans sommation.

Line et Butch se jetèrent au sol. Le reste du commando prit aussitôt position en demi-cercle et un enfer de rayons mortels se déclencha. Line serra le bras de Butch et lui indiqua le sas tout proche qui conduisait à l’Érythrée. Et qui était hors d’atteinte sous ce déluge de feu.

D’un coup d’œil, le chef du commando évalua la situation. Une petite boule métallique apparut alors dans sa main. Il leva le pouce en direction de Line et lança la bombe au centre de l’esplanade. Butch eut l’impression que le monde entier éclatait. Le souffle le projeta et il se retrouva nez à nez avec le sas. Il se releva en chancelant. Le silence était entrecoupé de grésillements et de gémissements. Les trois derniers hommes du commando gisaient inertes. Aucun de leurs boucliers n'avait résisté au souffle de l'explosion. Line était couverte de sang. Il s’approcha et elle ouvrit péniblement les yeux. « Fu… fuyez.
— Je vais vous porter jusqu’au vaisseau, je ne vous laisse pas ici.
— Non, c’est fini. A... allez-vous en.
— Line ! »

De l’autre côté de la salle dévastée, des bruits de pas se faisaient entendre. Butch passa les doigts sur les yeux de la jeune femme et se retourna vers le sas. La porte n’avait pas souffert. Il mit sa main dans la serrure palmaire. L’Érythrée attendait au bout du quai. Il parcourut les dix derniers mètres en boitant et s’engouffra dans l’écoutille principale de son vaisseau.


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